mercredi 17 mars 2010

Titus d’enfer – Mervyn Peake


Voilà un moment que Titus d’Enfer trainait sur mon étagère, sans que je me décide à l’entamer. Et puis est passée pendant les vacances de Noël l’adaptation en téléfilm par la BBC. Charmée par cette atmosphère très étrange, je suis allée chercher le bouquin et… bien plus tard, je l’ai enfin fini.

Pour une fois, je n’ai pas regretté cet avant-goût télévisuel, parce qu’il m’a considérablement aidé à entrer dans l’histoire. Les premiers chapitres sont facilement rebutants, mais la patience est récompensé, car c’est un très beau –mais très étrange- roman qui se dévoile ensuite.

Titus d’Enfer suit les pas d’un étrange château perdu au milieu de nulle part, Gormenghast, où règne la maison d’Enfer. C’est un univers étrange, agglomérat de bâtiments de tous âges adossés les uns aux autres, régi par des rituels à toute heure de la journée et de la nuit, et peuplé d’êtres, qui, à l’image des lieux, sont tous complètement fous. Le livre s’ouvre avec la naissance du prochain comte (le Titus du titre) qui va mettre en route tout un enchainement d’évènements.

Mais l’arrivée de Titus intéresse fort peu l’auteur, qui préfère d’abord nous balader dans le château (ses couloirs labyrinthiques, ses toits, le village des sculpteurs à l’extérieur de ses murs) pour nous en présenter la famille d’Enfer : Lord Tombal, actuel comte mélancolique qui ne vit que pour lire ; sa femme, Gertrude, intéressée uniquement par ses chats et ses oiseaux ; Fuschia, leur fille ainée, rêveuse romantique qui a oublié de grandir ; Cora et Clarice, les sœurs (jumelles) du comte, complètement folles.

Autour d’elle gravite différents personnages comme le serviteur du compte, le très sec Craclosse, le Dr Salprune (foudre d’éloquence) et sa sœur Irma (qui répète toutes ses questions), Nannie Glu la gouvernante (toujours à se plaindre), Lenflure le chef cuisinier (qu’on n’aimerait pas croiser dans un couloir). Sans être aussi atteints que la famille (quoique), tous ont leur grain de folie.

Au milieu de tout ce petit monde évolue l’ambitieux Finelame, peut-être le seul être « normal » dans ce monde de fous, qui tire les ficelles, manipule, complote et fait des plans, suite à la naissance de l’héritier.

Même le résumé de Titus d’Enfer ressemble à une description, et c’est sans doute parce le roman ressemble beaucoup à une visite guidée. Un peu difficile à attaquer au début, je le disais plus haut, mais on finit par s’habituer au fait que le château de Gormenghast soit un personnage au moins aussi important que ses habitants, à sa façon. Et qu’on passe d’un habitant à l’autre comme on passerait d’une pièce à une autre.

C’est un roman bizarre, mais quand on rentre dedans, il exerce une étrange fascination. L’univers baroque et décadent y est pour quelque chose, ainsi que sa galerie de personnages tous aussi timbrés les uns que les autres.

La virtuosité de l’écriture joue aussi. Le vocabulaire est extrêmement riche, et les descriptions ne sont pas banales du tout. Je peux difficilement vous mettre un extrait ici (ceux qui me viennent en tête avoisinent la page entière), mais à un moment par exemple, Mervyn Peake pose le décor au travers du reflet d’une goutte d’eau qui coule le long d’une feuille. Et cela à deux reprises. C’est juste fou, et magnifique.

Les dialogues sont délicieux et incroyablement musicaux. Le genre qu’on lit à voit haute pour mieux les savourer, qu’il s’agisse des diatribes de Salprune, dont on ne sait jamais s’il se moque ou s’il est sérieux (surtout avec sa sœur), ou des échanges des jumelles où on oublie très vite qui a dit quoi.

Ambiance décalée, écriture délicatement ciselée, ce livre est assez unique dans son (absence de) genre. Nul doute que je jetterais un œil à la suite (Ghormenghast), curieuse d’en savoir plus sur la destinée de Gormenghast et de la lignée d’Enfer.

2 commentaires:

Fénice a dit…

C'est sûr que présenté comme ça, on a l'impression qu'il n'y a pas d'histoire à proprement parler... mais c'est peut-être une libération de s'affranchir d'une histoire...

Vert a dit…

Oui c'est vrai que j'ai bien éludé la question.
J'imagine qu'on pourrait résumer ça simplement aux manigances de Finelame pour monter les échelons du pouvoir qui occupent une bonne partie des pages. En même temps certains passages sont complètement à coté comme l'histoire de Keda (tiens j'en ai pas parlé d'elle).
Ca donne une certaine spécificité au bouquin, c'est sûr, quand à savoir si c'est une libération... disons que ce qu'il n'a pas mis dans le scénario, il l'a mis dans l'écriture ^^.